Parution 01/2010 Les nouvelles complètes" Mykola Hohol" dit Nicolas Gogol
Né en mars 1809, N.Gogol est le fils d'un petit fonctionnaire ukrainienne. Le garçon, de santé fragile, passe son enfance à Vasylivka, où son père possède une propriété, avant de suivre des études médiocres au lycée de Nyzhyn. Il occupe ensuite divers emplois dans différents ministères, expériences dont il s'inspirera dans Le journal d'un fou. Après quelques tentatives avortées, il publie, en 1831, le premier volume des Soirées du hameau, recueil de nouvelles inspirées du folklore ukrainien, sous le pseudonyme de Panko le Rouge, éleveur d'abeilles. Le succès est au rendez-vous et le deuxième volume paraît l'année suivante. Il fait la connaissance de Pouchkine et découvre les milieux littéraires pétersbourgeois. En 1835, paraissent La Perspective Nevski, Le Portrait et Le Journal d'un fou. Gogol achève également Le Nez, mais le texte est refusé par une revue car « sale et trivial ». Passionné par le théâtre, il écrit Le Revizor qui parvient à franchir la censure et est représenté, avec succès, en présence du tsar Nicolas Ier. Pourtant Gogol a le sentiment d'être mal compris et quitte la Russie pour voyager à travers l'Europe. Il est à Paris lorsqu'il apprend la mort de son ami Pouchkine, blessé en duel. Profondément affecté, il n'arrive plus à écrire une ligne des Âmes mortes. À part quelques brefs séjours, c'est seulement en 1841 qu'il rentre en Russie. Se jouant encore une fois de la censure, il publie une première partie des Âmes mortes en 1842. Il s'attache ensuite à revoir ses textes antérieurs pour une édition complète de ses œuvres qui comprend Le Manteau parmi les inédits. Alors qu'on attend en vain la suite des Âmes mortes, Gogol, qui traverse une grave crise mystique, n'écrit plus et reprend ses voyages à travers l'Europe. En 1845, Les Nouvelles russes par Nicolas Gogol paraissent à Paris et sont remarquées par la critique. Après un retour raté sur la scène littéraire russe, il séjourne en Orient puis revient à Moscou où il se remet à écrire Les Âmes mortes, mais, malade et nerveusement épuisé, il craint que le temps ne lui manque pour achever son travail. Pendant le carême 1852, il multiplie les exercices de jeûne et les prières et, inquiet pour son salut, brûle le manuscrit de la seconde partie des Âmes. Les jours suivants le voient longuement agoniser avant qu'il ne s'éteigne le 21 février.
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Quel est le territoire de Nicolas Gogol en littérature ? Ou plutôt quels sont ses territoires ? Car de cet écrivain, on ne peut parler, finalement, qu’au pluriel. Cet éternel jeune homme, vaniteux, inventif, insatisfait chronique, et qui figure au panthéon de la littérature, se montre en effet sous des jours très différents tout au long de son parcours, ne cessant de se réinventer.
Pour s’en persuader, il faut plonger dans ces Nouvelles complètes qui viennent d’être réunies par Michel Niqueux, professeur à l’université de Caen, dans un volume de la collection Quarto Gallimard, accompagné d’un important dossier critique.
Nicolas Gogol n’est l’homme que d’un seul roman, Les Âmes mortes, regard satirique sur la Russie profonde, et d’une seule pièce de théâtre, Le Revizor. C’est peu. Oui, mais il y a le reste, c’est-à-dire ses nouvelles. Elles sont toutes dans ce volume de mille pages. Et les voir rassemblées permet de redécouvrir la diversité de l’œuvre de Nicolas Gogol.
La surprise vient surtout des Veillées du hameau, ces contes populaires que Gogol recueille dans son Ukraine natale, et qu’il commence à publier en deux volumes, alors qu’il n’a que 21 ans. Ces contes sont empreints de fantastique. Tout le monde paysan s’y reflète, avec ses superstitions et ses traditions. On y croise le diable et des jeunes filles bonnes à marier, des cosaques vaillants et des paysans pauvres. Cette Ukraine n’est pas celle que Nicolas Gogol a connue dans son enfance, dans la région de Poltava, mais plutôt une société paysanne déjà en train de disparaître, et qu’il a découverte à travers les récits de sa mère.
Ces textes de Gogol sont peu connus aujourd’hui en France. Mais ils ont rencontré un grand succès à l’époque de leur publication. Pouchkine, avec lequel Gogol s’était lié, a raconté comment les ouvriers typographes riaient, à l’imprimerie, alors qu’ils composaient l’ouvrage à la main.
Avec ces Veillées du hameau, on rencontre un Gogol ethnographe. On le découvre ensuite auteur d’épopée historique avec Taras Boulba, éblouissant portrait d’un cosaque ukrainien au temps des guerres contre les Polonais. À l’époque, les cosaques n’ont pas encore été soumis par la Russie. Ils sont ces hommes libres, braillards, pillards, buveurs et guerriers, qui ne se soumettent à personne sauf à Dieu, et vivent dans le « Sitch », une île du Dniepr où ils ont établi le centre de leur république. Avec Taras Boulba, Gogol donne vie à un personnage qui symbolise l’esprit cosaque.
Rien à voir avec les Nouvelles pétersbourgeoises qui suivent. Beaucoup plus connues, elles sont dans la veine des Âmes mortes, avec ce mélange de critique sociale et de fantastique qui sont la marque de l’écrivain. Il y brosse un portrait critique de la capitale russe, ville inquiétante, « écran artificiel où se projettent les rêves avortés de l’homme russe », comme l’écrit Georges Nivat. Saint-Pétersbourg appartient aux vaniteux et aux bureaucrates. Les héros de Gogol y perdent la raison, comme dans le Journal d’un fou, y perdent une part d’eux-mêmes, comme dans Le Nez. À tout le moins, ils y ratent leur vocation, comme dans Le Portrait.
Cette édition très riche permet d’aller au-delà dans la découverte de Nicolas Gogol. On y trouve ainsi les deux versions du Portrait, écrites à quelques années d’intervalle, et dont on voit à quel point elles sont différentes. On y lit aussi des textes sur Gogol qui permettent de reconstituer la façon dont son œuvre fut reçue, du XIXe siècle à nos jours. Et l’on y voit que la figure de l’écrivain ne cesse de gagner en importance. L’année 2009, bicentenaire de sa naissance, a d’ailleurs été déclarée « Année Gogol » par l’Unesco.
On y lit aussi ce portrait de Nicolas Gogol, fait par le poète Nicolas Berg, et qu’on ne résiste pas au plaisir de citer : « Un homme de courte taille, en redingote noire et pantalon bouffant, les cheveux tombant de chaque côté du visage en parenthèses, avec une petite moustache, les yeux sombres, vifs et perçants, le teint pâle. Dans toute sa physionomie, il y avait quelque chose de contraint, de serré, de crispé comme un poing. »
Aujourd’hui, l’Ukraine et la Russie se disputent l’héritage de Nicolas Gogol. Était-il russe, langue dans laquelle il a écrit ? Ou bien ukrainien, de sa terre natale qui l’a inspiré ? Il appartient aux deux pays à la fois, sans doute. Et aussi au reste de l’Europe, tant son œuvre nous reste proche.
ALAIN GUILLEMOLES (La Croix)"